Est-ce qu'il faut se surprendre du congédiement de Jacques Martin? Pas vraiment.
Ce qui est surtout étonnant, c'est le moment qu'a choisi Pierre Gauthier pour apporter un changement. Malgré les déboires accumulés, les nombreux cafouillages en fin de match et les reproches qu'on adressait à l'entraîneur avec une fréquence de plus en plus soutenue, l'équipe était revenue au coeur de la course pour une participation en séries après un début de saison désastreux.
Gauthier a admis avoir mûri cette décision durant quelques semaines. Ça veut dire quoi au juste «quelques semaines»? Est-ce que cela signifie qu'il avait déjà ce plan en tête quand il a remercié un fidèle allié de Martin, l'adjoint Perry Pearn?
Quand le tout premier geste qu'un directeur général pose pour secouer une équipe en chute libre est de laisser tomber une grenade dans la cour de son entraîneur, il me semble que le degré de sympathie pour celui que tout le monde considérait comme son ami s'était considérablement effrité.
Quel rôle les joueurs ont-ils joué dans cette décision? Difficile à dire. Un entraîneur ne fait jamais l'unanimité dans un vestiaire. On ne peut pas dire que la chambre était minée par un profond mécontentement, mais il y avait sûrement des joueurs malheureux de leur utilisation, insatisfaits du style de jeu qu'on leur imposait ou tout simplement fatigués d'être dirigés par un homme sans la moindre émotion derrière le banc.
Gauthier affirme qu'il n'a étudié aucune autre avenue que celle de Randy Cunneyworth durant sa longue période de réflexion. Il est permis d'en douter. Il a peut-être dressé la liste des entraîneurs d'expérience qui sont actuellement sans travail. Peut-être a-t-il ajouté à cette liste les noms de quelques autres pilotes dont les contrats viennent à échéance à la fin de la saison. Peut-être aussi a-t-il agi avec prudence sur la recommandation de son propriétaire.
Ce congédiement vient de coûter beaucoup d'argent à Geoff Molson. Pas étonnant que Gauthier l'ait remercié de l'avoir appuyé dans sa décision.
Par ailleurs, le moment aurait été mal choisi de se tourner en catastrophe vers un autre entraîneur qui n'aurait pas fait l'affaire dans un an ou deux. Qui sait si M. Molson n'a pas déjà son propre nom en tête. Un coach émotif, déterminé, passionné, travailleur comme dix et un gagnant. Un homme qui parle la langue de travail au Québec et qui a déjà porté ce chandail avec fierté. Un ex-grand Canadien, dont le dossard flotte déjà dans les hauteurs du Centre Bell, qui a fait gagner cette organisation dans un moment où elle n'avait portant pas tous les outils pour gagner. Ce qui est encore le cas aujourd'hui, d'ailleurs.
Pour l'avenir du Canadien, il n'y a pas candidat plus prestigieux et mieux préparé que Patrick Roy qui en est déjà à sa huitième année à la tête de l'une des plus florissantes organisations juniors au pays et qui a déjà une coupe Memorial à son actif. C'est le successeur le plus logique.
Cette décision-là reviendra à M.Molson puisque jamais Gauthier n'osera se tourner de son propre chef du côté de Roy qui est totalement à l'opposée de sa personnalité. Et pas sûr que Roy accepterait de reprendre du service chez le Canadien sous la gouverne d'un directeur général qui ne partagerait pas totalement ses vues sur la façon de bâtir une formation gagnante.
Oubliez tout ce qu'on nous a raconté en conférence de presse au sujet du rôle par intérim confié à Cunneyworth qui sera revu après la saison. Après avoir passé les 11 dernières saisons derrière le banc, il est certainement un homme de valeur, même s'il vient d'hériter de sa première chance dans la Ligue nationale, un peu en catastrophe faut-il le dire. Il n'est assurément que de passage. Par respect pour son public, le Canadien ne peut absolument pas être dirigé par un unilingue anglophone.
On a essayé de nous faire avaler une couleuvre, une autre, en affirmant qu'une langue seconde, ça s'apprend. On l'a entendue tellement souvent celle-là. Pourquoi Cunneyworth se mettrait-il à l'étude du français en sachant qu'il n'ira pas plus loin que les quatre mois qui restent à la saison? Pire encore, comment un entraîneur, qui hérite de l'une des équipes les plus difficiles à diriger dans la ligue, trouverait-il le temps d'étudier le français en se concentrant sur mille responsabilités durant plus de 15 heures par jour? Dans quelques semaines, attendez-vous à ce que Cunneyworth avoue son incapacité d'y arriver, en promettant de s'y consacrer durant la saison morte. Un chausson avec ça?
Pour l'instant, ce qu'il faut retenir, c'est que l'entraîneur du Canadien, qui est une personnalité citée plus souvent dans les médias que le premier ministre du Québec, ne pourra même pas s'adresser aux fans du Canadien dans leur langue. Faudrait pas que ça perdure.
Une soirée de misère de trop?
Il y a différentes façons d'analyser la décision de Gauthier, dont l'intention bien légitime de protéger ses arrières. Pourquoi croyez-vous que les directeurs généraux jouissent souvent de très longs mandats? Parce qu'ils sont les premiers à rejeter tout le blâme sur les entraîneurs quand ça tourne mal.
Gauthier a peut-être agi en étant convaincu que Martin avait donné tout ce qu'il avait à donner. Difficile de ne pas être d'accord avec ça quand ses derniers matchs nous ont laissé la désagréable impression qu'il semblait à court de solutions. J'ignore si sa dernière soirée de travail contre les Flyers est la goutte qui a fait déborder le vase, mais quand une équipe éprouve toutes les difficultés du monde à se donner une attaque massive crédible et que son coach ne fait pas appel à ses meilleurs attaquants à l'occasion d'une supériorité numérique de deux joueurs, ou qu'il cloue au banc un jeune qui vient de lui donner un but crucial, le tout premier de sa carrière, il donne l'impression qu'il ne sait pas totalement ce qui se passe.
Il y avait sans doute un peu de tout cela dans les explications de Gauthier sur ce congédiement: L'équipe ne produisait pas à un nouveau acceptable, l'approche pour les matchs était déficiente et son affaissement dans les fins de parties n'était plus tolérable, selon lui.
Il est bien possible qu'il ait voulu secouer l'équipe et profiter du sursaut d'énergie que provoque habituellement un changement d'entraîneur à la veille d'une séquence de six parties consécutives sur la route qui pourrait s'avérer déterminante pour une place en séries.
Gauthier a précisé qu'il fallait construire sur nouvelles idées, de nouvelles approches. J'ignore si Cunneyworth le sait, mais il n'entre pas dans un jardin de roses. Le Canadien, c'est une organisation tellement différente de toutes celles qu'il a connues en 20 ans d'une carrière professionnelle bien remplie.
En lui disant au revoir, Jacques Martin pourrait lui en parler. Quand 1 294 parties d'expérience et 613 victoires ne peuvent même pas permettre à un entraîneur de terminer sa première entente avec le Canadien (il aura à peine complété deux ans et un tiers d'un contrat de quatre ans), c'est une indication que le job qui l'attend peut aussi être terriblement cruel.
Émotion et fierté
Seul Martin (et Gauthier, évidemment) sait pourquoi il a perdu son poste. On ne peut pas l'avoir remercié sans lui avoir fourni quelques explications.
Il y a probablement eu une bonne part de grenouillage dans son dos, même si on ne peut pas affirmer qu'il ait perdu totalement son vestiaire. Son manque d'émotivité dans le cours d'un match ne l'a sûrement pas aidé. Le hockey est un sport d'émotion. Les athlètes ont besoin de ressentir que celui qui les dirige vit un match au même diapason qu'eux.
Il est bien possible que le style hermétique de Martin ait fini par miner l'enthousiasme de joueurs payés pour marquer des buts. Le Canadien est miné par les blessures, mais sa situation serait nettement plus enviable si les Cammalleri, Plekanec, Gionta, Gomez et Kostitsyn n'étaient pas si avares de leur contribution offensive cette saison.
Martin se doute probablement que si ces cinq joueurs, tous grassement rémunérés, lui avaient seulement donné deux ou trois buts de plus chacun, il ne se retrouverait pas sans travail aujourd'hui.
Cela dit, un athlète a des responsabilités professionnelles envers ses patrons, son équipe et le public qui l'adule. Il ne peut pas toujours décider du sort de ses entraîneurs. À Montréal, plus que n'importe où ailleurs, le logo sur le chandail doit être affiché avec fierté. Cependant, pas sûr que tout le monde ressente cette nécessité. Malheureusement, il n'y pas suffisamment de Québécois dans l'équipe pour le rappeler à ceux qui n'ont pas grandi dans cette ambiance et dans cette tradition.
J'espère que Geoff Molson a saisi une certaine forme de message durant la longue et vibrante ovation qui a suivi le premier but de Louis Leblanc. C'était de l'émotion à l'état pur fourni par un gars d'ici qui avait longtemps rêvé à ce moment.
*Source: rds.ca*